Par un après midi de juillet, je décidai de sortir de mon appartement dans lequel je cuisais depuis deux heures, désœuvrée et narcoleptique. Je pris mon sac, mes clefs, et partis marcher sans aucune idée de là où mes pieds allaient m’amener. J’avais envie de découvrir de nouveaux quartiers au hasard de mes pas, de la même manière que j’aime me perdre à Paris dans les petites ruelles des vieux arrondissements.
Je suis donc passée devant les grandes tours d’affaire de Senapati Bapat Road, les petits bouibouis fast food de la rue d’en face et la célèbre épicerie à comptoir Om Market. Jusqu’ici, tout m’était encore familier, ou du moins autant que cela avait pu le devenir à mes yeux en un mois. Bientôt, je dépassais les étalages d’un petit marché de fruits et légumes, arrivant au carrefour du Vhaibav shop. A droite, l’institut de yoga, à gauche, la route menant au Fergusson College. Je n’étais encore jamais allée en face… Je décidai donc de m’engager vers l’inconnu.
Soudain, j’entendis un bruit étrange et irrégulier me rappelant celui d’un skate board roulant sur le bitume. Curieux de savoir ce qui provoquait ce bruit, mes yeux en cherchèrent la source… et la trouvèrent. Un homme au pied mutilé avançait assis sur une petite planche à roulettes à la force de ses bras. Il roulait en plein milieu de la route, de manière que je ne pus m’empêcher de comparer cet homme à un véhicule. Un hybride entre l’homme et la machine. Comment peut-on vivre librement, humainement, quand on est ainsi dépendant d’un bout de bois posé sur deux petites roues ?
J’étais plongée dans mes pensées quand tout à coup je m’aperçus que j’étais en train de pénétrer dans ce qui ressemblait à un bidonville. Ne m’arrêtant pas pour autant, je continuai de marcher d’un pas vif. Les maisons se rétrécissaient, les toits s’abaissaient, même la rue devenait plus étroite. En moins de cinquante mètres, j’avais quitté le monde de la modernité pour enter dans celui des laisser-pour-comptes. Eprise d’une sensation étrange, entre appréhension et curiosité, j’accélérai un peu pour me donner de l’assurance. J’étais irrésistiblement attirée vers ce monde si différent du mien.
Waderwadi. Ici, les moutons broutent les détritus qui gisent à l’air libre, les chiens traînent au milieu de la route et les femmes frottent des casseroles par terre devant chez elles, c'est-à-dire devant des abris en béton grands comme une cellule de prison. J’observe. L’air blasé, une femme vend du poisson de trois jours, assise sur un petit muret en béton gris abîmé. Un homme marchande du pain et des galettes dans une échoppe en tôles. Un autre assis par terre le dos courbé travaille le fer en lui infligeant des décharges électriques. J’observe, je respire. Je sens l’odeur de la pauvreté, parfois de la pourriture. Un 4x4 noir flambant neuf me dépasse. Cela ne me choque même pas. Une demi-douzaine d’enfants assis à l’arrière rigolent, me font signe et m’apostrophent. J’aurais envie de leur sourire et de leur dire bonjour comme je le fais d’habitude pour les enfants amusés de voir une blanche se promener chez eux. Mais quelque chose m’en empêche. Je ne me sens pas à ma place, je voudrais devenir invisible, ne plus être l’objet de tous ces regards interrogateurs, de toutes ces convoitises. Soudain, je prends un peu peur. Cela fait plus de dix minutes que je marche en terrain inconnu et je ne retrouve toujours pas Senepati Bapat Road. Pourtant, c’est là où je devrais arriver : au carrefour de la route qui mène chez Audrey. Où suis-je ? J’avance encore un peu, en essayant de ne pas avoir l’air perdu. Et là, entre deux arbres j’aperçois ICC Tower, assez loin vers la droite. Je comprends alors que je me suis trop éloignée. Deux solutions : soit tu avances et tu cherches à revenir sur Senapati Bapat Road par un autre chemin, soit tu rebrousses chemin en ayant l’air naturel, toujours pour ne pas montrer que tu ne connais pas ta route. Je choisis la seconde option. Les rues en face de moi serpentent trop pour que je sois sûre de ne pas me perdre définitivement. Alors que si je recule, il me suffit de marcher cinq bonnes minutes d’un pas décidé pour retourner dans les quartiers développés. Je fais donc demi-tour et tente de prendre une expression sévère et déterminée. Je ne veux pas qu’on m’aborde. Personne ne m’interpelle, mis à part un gars que j’aperçois au loin avec sa bande de potes et que j’ignore.
Je suis donc passée devant les grandes tours d’affaire de Senapati Bapat Road, les petits bouibouis fast food de la rue d’en face et la célèbre épicerie à comptoir Om Market. Jusqu’ici, tout m’était encore familier, ou du moins autant que cela avait pu le devenir à mes yeux en un mois. Bientôt, je dépassais les étalages d’un petit marché de fruits et légumes, arrivant au carrefour du Vhaibav shop. A droite, l’institut de yoga, à gauche, la route menant au Fergusson College. Je n’étais encore jamais allée en face… Je décidai donc de m’engager vers l’inconnu.
Soudain, j’entendis un bruit étrange et irrégulier me rappelant celui d’un skate board roulant sur le bitume. Curieux de savoir ce qui provoquait ce bruit, mes yeux en cherchèrent la source… et la trouvèrent. Un homme au pied mutilé avançait assis sur une petite planche à roulettes à la force de ses bras. Il roulait en plein milieu de la route, de manière que je ne pus m’empêcher de comparer cet homme à un véhicule. Un hybride entre l’homme et la machine. Comment peut-on vivre librement, humainement, quand on est ainsi dépendant d’un bout de bois posé sur deux petites roues ?
J’étais plongée dans mes pensées quand tout à coup je m’aperçus que j’étais en train de pénétrer dans ce qui ressemblait à un bidonville. Ne m’arrêtant pas pour autant, je continuai de marcher d’un pas vif. Les maisons se rétrécissaient, les toits s’abaissaient, même la rue devenait plus étroite. En moins de cinquante mètres, j’avais quitté le monde de la modernité pour enter dans celui des laisser-pour-comptes. Eprise d’une sensation étrange, entre appréhension et curiosité, j’accélérai un peu pour me donner de l’assurance. J’étais irrésistiblement attirée vers ce monde si différent du mien.
Waderwadi. Ici, les moutons broutent les détritus qui gisent à l’air libre, les chiens traînent au milieu de la route et les femmes frottent des casseroles par terre devant chez elles, c'est-à-dire devant des abris en béton grands comme une cellule de prison. J’observe. L’air blasé, une femme vend du poisson de trois jours, assise sur un petit muret en béton gris abîmé. Un homme marchande du pain et des galettes dans une échoppe en tôles. Un autre assis par terre le dos courbé travaille le fer en lui infligeant des décharges électriques. J’observe, je respire. Je sens l’odeur de la pauvreté, parfois de la pourriture. Un 4x4 noir flambant neuf me dépasse. Cela ne me choque même pas. Une demi-douzaine d’enfants assis à l’arrière rigolent, me font signe et m’apostrophent. J’aurais envie de leur sourire et de leur dire bonjour comme je le fais d’habitude pour les enfants amusés de voir une blanche se promener chez eux. Mais quelque chose m’en empêche. Je ne me sens pas à ma place, je voudrais devenir invisible, ne plus être l’objet de tous ces regards interrogateurs, de toutes ces convoitises. Soudain, je prends un peu peur. Cela fait plus de dix minutes que je marche en terrain inconnu et je ne retrouve toujours pas Senepati Bapat Road. Pourtant, c’est là où je devrais arriver : au carrefour de la route qui mène chez Audrey. Où suis-je ? J’avance encore un peu, en essayant de ne pas avoir l’air perdu. Et là, entre deux arbres j’aperçois ICC Tower, assez loin vers la droite. Je comprends alors que je me suis trop éloignée. Deux solutions : soit tu avances et tu cherches à revenir sur Senapati Bapat Road par un autre chemin, soit tu rebrousses chemin en ayant l’air naturel, toujours pour ne pas montrer que tu ne connais pas ta route. Je choisis la seconde option. Les rues en face de moi serpentent trop pour que je sois sûre de ne pas me perdre définitivement. Alors que si je recule, il me suffit de marcher cinq bonnes minutes d’un pas décidé pour retourner dans les quartiers développés. Je fais donc demi-tour et tente de prendre une expression sévère et déterminée. Je ne veux pas qu’on m’aborde. Personne ne m’interpelle, mis à part un gars que j’aperçois au loin avec sa bande de potes et que j’ignore.
De retour dans un quartier plus familier, je prends plus que jamais conscience de mon appartenance au monde de l’Occident. La modernité m’apparaît comme rassurante et bonne. Peut-on être heureux dans un bidonville ? Non pas que je crois en la supériorité absolue du modèle occidental, loin de là. Mais la mise en place de politiques de développement – tant urbaines que rurales - me semble plus que jamais souhaitable et nécessaire au déploiement de la liberté humaine. Un homme libre est un homme qui peut.
Encore toute déboussolée de ce que je venais de voir, je n’ai pas vu le garçon arrivant vers moi avec sa brouette pleine de barbelais à recycler. Trop tard. Il me bouscule, me jette un regard par-dessus son épaule et me lance un rapide « sorry ». Mais je suis ailleurs, je ne lui réponds pas. Soudain, je comprends que ma jambe est éraflée. Je regarde : mon pantalon est complètement déchiré à la cuisse, coupé net par l’extrémité d’un barbelais. Pas le temps de m’émouvoir, je continue à marcher. Je veux rentrer. Me poser. Je cache ma cuisse nue avec mon sac à bandoulière pour éviter que les Indiens me dévisagent encore davantage.
Portable qui sonne, SMS de Manon : « Si tu peux, achètes une pomme (et une grenade ^^), on pourrait essayer une compote ». Retour brutal à la réalité. Pas envie de rentrer dans un magasin ni le courage de parler au vendeur. Je rentre. J’arrive devant ma résidence, passe devant les gardiens sans les regarder, monte au quatrième étage en prenant les escaliers. Pas envie d’être assistée pour monter quelques marches. J’ai des jambes, moi.
Enfin, j’ouvre ma porte. Je rentre dans mon 110 mètres carré, 3 pièces, 2 salles de bains, cuisine, salle et balcon.
Je suis blanche, occidentale et riche.