lundi 11 octobre 2010

Le sens de l'amitié

"Are you angry at me??” Ceci est le genre de phrase que j’entends au moins une fois par semaine de la part de mes amis indiens issus de familles aisées où les parents sont encore assez conservateurs.

La conception indienne traditionnelle de l’amitié est assez différente de la conception européenne. La plupart de mes amis indiens ne comprennent pas le comportement que j’ai envers eux, comportement qu’Amit a une fois qualifié de « détaché ». Bien que mes amis indiens soient plutôt libéraux politiquement et qu’ils écoutent Lady Gaga (petite pensée pour Nathan & Sylv’^^), leurs valeurs se révèlent encore assez traditionnelles en concerne la famille et les amis.

Tout comme il existe toute une procédure plus ou moins formelle mais ancrée dans les mœurs lorsque deux jeunes gens veulent sortir en ensemble, il existe une étape où l’on fait comprendre à son copain que l’on souhaite devenir son ami. On ne demande pas littéralement « est-ce que tu veux être mon ami ? » mais ça y ressemble fortement. Et à partir du moment où deux personnes sont « officiellement » liées d’amitié (et elles peuvent l’être même si elles ne se connaissent que depuis quelques jours), elles sont tenus de s’apporter aide et soutien mutuels dans quelque situation que ce soit. Elles doivent être prêtes à sacrifier leur propre intérêt pour l’autre, même quand elles ont beaucoup à perdre. Aujourd’hui, la nouvelle génération change et la manière dont elle conçoit les relations aussi. Il en n’est pas moins que j’ai déjà déçu des amis plusieurs fois. Pour moi, l’amitié est un lien qui ne doit pas venir peser sur la relation. Deux amis restent avant tout des individus libres et indépendants. Bien entendu, cela ne signifie pas qu’ils égoïstes. Mais la différence est qu’en Inde la générosité et les interactions sociales en général sont presque formelles, alors qu’elles sont beaucoup plus spontanées en France. Du moins, c’est l’impression que j’ai après avoir vécu ici pendant 4 mois
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Ainsi, je ne prends pas de nouvelles des mes amis tous les jours, je ne réponds pas dans la seconde qui suit à leur SMS, je n’annule pas tous mes plans à la dernière minute pour pouvoir diner avec eux,… Ce qui peut être très mal pris par les Indiens qui se vexent d’ailleurs très facilement.
A l’inverse, je me sens très gênée quand ils sèchent leurs cours juste pour m’apporter un bouquin dont j’ai besoin (au lieu de me demander de venir le chercher à l’université) ou quand ils passent des après-midi entières à m’accompagner dans tel ou tel magasin alors qu’ils pourraient très bien me donner l’adresse (ou un semblant d’adresse vu que 80 % des rues n’ont pas de nom ^^). Evidemment, cela me fait plaisir. Mais je ne suis pas capable de rendre autant en retour.

La notion de dévouement par amitié tient une place beaucoup plus importante en Inde. Le degré de « sacrifice » à partir duquel ils hésitent et finalement décident de faire passer leur intérêt avant celui de l’autre est beaucoup plus élevé. Aujourd’hui, Amit l’a compris. De fait, nous essayons chacun de s’adapter à la vision de l’autre. Avec d’autres, les choses sont plus compliquée, ce qui amène régulièrement à des malentendus… Il est parfois difficile de faire comprendre que nous n’avons pas la même notion de l’amitié.

Malgré tout, les valeurs modernes individualistes se substituent peu à peu aux valeurs traditionnelles communautaires. Les relations deviennent plus détachées, plus  libres, plus superficielles. Certains camarades de classe m’ont ainsi vite oubliée une fois que j’ai quitté l’université, même s’ils m’avaient promis de m’apporter de l’aide dès que j’en aurais besoin. L’honneur et le dévouement sont des concepts qui perdent peu à peu leur sens, tout comme ils ne signifient plus grand-chose de nos jours en Occident.

L’Inde embrasse notre modèle culturelle, mais bien souvent pour adopter ses aspects les moins glorieux. Il est difficile et d’ailleurs impertinent de juger quelle conception de l’amitié est la « meilleure », mais il est évident (du moins à mes yeux) que l’entrée fracassante dans l’ère de la consommation et la violence de la  libération sexuelle pervertissent la société indienne. Peut être est-ce un passage nécessaire pour pouvoir par la suite trouver le « juste milieu »… Toujours est-il que le fait de vivre dans ce qu’on pourrait appeler « les Trente Glorieuses » indiennes amène à réfléchir quant la pertinence de la diffusion de notre modèle de société.